Le voleur d’hirondelle

Oreille collée au gsm, elle dialogue, les yeux perdus à l’horizon. Pas de forfait illimité, tant pis ! Elle écoute, croche et ricoche d’un fou rire. Hirondelle, elle piaille au soleil dans la brise légère qui folâtre avec ses cheveux. Qu’importe le sens des mots, tout est codé en respiration, vibratos : incandescent été.

Un moment d’éternité se perd dans les ruelles chaudes où ses espadrilles déambulent. Itinéraire impromptu, elles glissent leurs pas souples jusqu’à la fontaine où dans un dernier éclat de rire, quatre bras s’enlacent et deux gsm s’embrassent avant de retourner qui dans le sac à main parme, qui dans la poche arrière d’un jeans délavé. Lui, forfait illimité, elle fauchée comme les blés, mais légère d’un regard qu’elle attendait depuis le matin.

Job étudiant, il peut enfin frôler la vacancière, humer son parfum et, dans un éclat de soleil, lui murmurer cette phrase mûrie au rayon épicerie, place du Marché, entre deux cageots d’abricots d’un producteur local : « Je te volerai ton sourire et le mangerai comme un fruit. »


Sandra Dulier, Plume Funambule

Rendez-vous

Elle marche au bord de l’eau. Les cormorans perchés veillent sur leur arbre endormi. Elle marche vers cette rencontre qu’elle appréhende et attend tout à la fois. Mille questions se pressent dans son esprit aussi embrumé que la Sambre aujourd’hui.

Son infirmité lui pèse. Elle essaie d’oublier sa démarche boitante et l’incertitude de son pas. Infirme de corps, elle s’inquiète. Va-t-il remarquer le décliné de son épaule, la fêlure du port de tête ou le tremblement du genou gauche.  Pourquoi a-t-il accepté ce rendez-vous ? N’a-t-il donc que du temps à perdre ? De quoi allons-nous bien pouvoir parler ?  Elle ralentit le pas. Sa respiration se bloque. Un, deux, trois : compte jusqu’à trois. Un, deux, trois : respire trois fois. Un… deux… trois…   Là, elle se sent un peu mieux. Elle se concentre sur les mouettes qui volent en rasant de leurs ailes l’eau ridée de la rivière. Elle observe cette nature chatoyante de jaunes se mélangeant aux rouges vermillon des feuilles rouillées de l’automne.

Elle avance encore, plus que quelques pas. Dieu que c’est long !  Elle le voit avant qu’il ne la voit. Elle l’observe pour se donner du courage. Assis sur un banc, il a le regard perdu au fond de ses pensées.

Ce qu’elle ignore, dans le dédale de ses peurs et de ses angoisses, c’est que lui aussi est inquiet. Son infirmité lui pèse. Il essaie d’oublier ses blessures et ses doutes. Mille questions se pressent à son esprit. Va-t-elle remarquer mon trac ? Moi, un homme… Ce serait une catastrophe ! Il faut que j’assure sur ce coup-là ! Pourquoi a-t-elle accepté ce rendez-vous ? N’a-t-elle donc que du temps à perdre ?

Il se concentre sur le passage du train, là-bas… au loin. Il entend son pas. Elle voit son regard. Il la découvre, un peu rouge et essoufflée. Elle lui sourit. Elle le voit, le regard tremblant et heureux.

Ce jour-là, ils ont compris tous deux combien l’autre luttait contre ses infirmités de vie. Assis côte à côte, ils ont pu enfin savourer ce jour béni de leur première vraie rencontre ; celle de leur liberté partagée.


Sandra Dulier, Plume Funambule

Il était un jour de pluie

Il était un jour de pluie, plus gris qu’un reflet de lune sur la glace de l’ennui quand l’âme ruisselle de chagrin sous le manteau d’un regret.

Son regret ? Un simple morceau de candeur perdu en miettes de coeur, parvis des ombres nues de solitude. Impossible d’oublier, d’effacer, d’amnésier. Et pourtant ! Il y avait eu tant d’oublis et d’écharpes de brume. Oui, mais pas ce visage-là ! Lui s’imprégnait, instant d’univers, éclat et empreinte tenaces, débris d’étoile. Rien ne servait de balayer : ces poussières-là sont bien trop volatiles…

Pourquoi lui ? Elle l’ignorait. Non, c’eût été mentir… Elle savait les dialogues et les silences que leurs deux regards avaient écoutés et le vertige de ces apprivoisements-là. Elle savait et lui aussi.

Parfois on aimerait remonter la roue du temps pour retrouver, dans l’aube d’un sourire, la foi en soi, mais c’est oublier que l’essence même d’un amour est un cercle lent jusqu’aux tréfonds de nos possibles. Les âmes rêveuses se perdent souvent les jours de pluie dans la valse lente des chutes d’automne, mais elles scintillent par leurs capacités à ressourcer en clairs printemps ce qui déboussola leurs saisons de vie.

Tout regret finit par mourir dans l’hiver des indifférences ; chaque être peut fleurir en un nouvel amour… Elle connut cette rencontre-là et les saisons qui suivirent furent pluies fines de joie.


Sandra Dulier, Plume Funambule