Rendez-vous

Elle marche au bord de l’eau. Les cormorans perchés veillent sur leur arbre endormi. Elle marche vers cette rencontre qu’elle appréhende et attend tout à la fois. Mille questions se pressent dans son esprit aussi embrumé que la Sambre aujourd’hui.

Son infirmité lui pèse. Elle essaie d’oublier sa démarche boitante et l’incertitude de son pas. Infirme de corps, elle s’inquiète. Va-t-il remarquer le décliné de son épaule, la fêlure du port de tête ou le tremblement du genou gauche.  Pourquoi a-t-il accepté ce rendez-vous ? N’a-t-il donc que du temps à perdre ? De quoi allons-nous bien pouvoir parler ?  Elle ralentit le pas. Sa respiration se bloque. Un, deux, trois : compte jusqu’à trois. Un, deux, trois : respire trois fois. Un… deux… trois…   Là, elle se sent un peu mieux. Elle se concentre sur les mouettes qui volent en rasant de leurs ailes l’eau ridée de la rivière. Elle observe cette nature chatoyante de jaunes se mélangeant aux rouges vermillon des feuilles rouillées de l’automne.

Elle avance encore, plus que quelques pas. Dieu que c’est long !  Elle le voit avant qu’il ne la voit. Elle l’observe pour se donner du courage. Assis sur un banc, il a le regard perdu au fond de ses pensées.

Ce qu’elle ignore, dans le dédale de ses peurs et de ses angoisses, c’est que lui aussi est inquiet. Son infirmité lui pèse. Il essaie d’oublier ses blessures et ses doutes. Mille questions se pressent à son esprit. Va-t-elle remarquer mon trac ? Moi, un homme… Ce serait une catastrophe ! Il faut que j’assure sur ce coup-là ! Pourquoi a-t-elle accepté ce rendez-vous ? N’a-t-elle donc que du temps à perdre ?

Il se concentre sur le passage du train, là-bas… au loin. Il entend son pas. Elle voit son regard. Il la découvre, un peu rouge et essoufflée. Elle lui sourit. Elle le voit, le regard tremblant et heureux.

Ce jour-là, ils ont compris tous deux combien l’autre luttait contre ses infirmités de vie. Assis côte à côte, ils ont pu enfin savourer ce jour béni de leur première vraie rencontre ; celle de leur liberté partagée.


Sandra Dulier, Plume Funambule

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